lundi 14 mars 2016

FIFF 2016: trois femmes et un gars

 
Ida, Ida, Ida… Ida Lupino ! Celui ou celle qui n’a jamais vu un de ses films a l’obligation, que dis-je, le devoir de les voir. Alors qu’une réalisatrice très en vogue dans les années 20 et 30, Dorothy Azner, une vingtaine de films à son actif, décide en 1943 de mettre un terme définitif à sa carrière, il y a une place laissée vide. Ida Lupino ne manquera pas de l’occuper. Un peu lasse des rôles qu’on lui propose, s’ennuyant sur les plateaux de tournage, ayant l’impression que ce n’était pas elle qui faisait le travail intéressant, elle se tourne vers la réalisation. Mariée au scénariste et producteur Collier Young, ils fondent ensemble The Filmmakers, une société de production indépendante. Ida va réaliser 7 films, tous à petit budget et abordant souvent des questions de société.

Le cinéma de Lupino est dépourvu de lyrisme et de romantisme. Il s’intéresse à la classe moyenne, totalement ignorée par Hollywood. Lupino aborde ce milieu social sans emphase, sans ironie et sans populisme. Jamais de grands destins, Ida Lupino s’attaque aux habitants du quotidien. Même si les thèmes qu’elle aborde possèdent bien souvent un potentiel émotionnel fort  - le viol, la bigamie – le résultat à l’écran est une narration sèche, débarrassée de tout l’artifice hollywoodien. Pas de héros donc dans le cinéma de Lupino. Mais des hommes et des femmes brutalement frappés par le sort. Elle aborde de front des thématiques comme l’argent, la sexualité, l’indépendance et la dépendance. Elle se concentre sur les personnages principaux, évacuant quasi spontanément tous les rôles secondaires. Elle s’éloigne du mélodrame et propose presque des documentaires sur son époque. Il y a un grand dépouillement qui se dégage du cinéma de Lupino. Elle offre de magnifiques rôles féminins à ses actrices. Des rôles de survivantes, de combattantes. Elle laisse beaucoup de place aux relations interpersonnelles, n’a pas peur des silences, des regards ou des gestes simples. Le quotidien, dans tout ce qu’il a de merveilleux, d’ennuyeux et de simple. Un sacré petit bout de femme, qui du haut de son 1m63 raconte des histoires à hauteur d’humain, sans chichis.

Il est très difficile aujourd’hui de trouver de bonnes copies des films qu’Ida Lupino a réalisé entre 1949 et 1953. Peu sont édités en DVD – mais pourquoi ? – et la majorité d’entre eux se trouve par bonheur sur internet, mais en qualité pourrie. Autant vous dire que la projection de The Hitch-Hiker de ce matin, absolument merveilleuse, relève du miracle !

The Hitch-Hiker est un film noir, considéré comme le premier réalisé par une femme, mais qui tout de même se défait avec malice des codes du genre. Pas de héroïnes dans ce film exclusivement porté par des hommes. Et ils ont de belles gueules les p’tits gars d’Ida. : Edmond O’Brien, Frank Lovejoy et William Talman. Des gueules comme on les aime.

Inspiré de faits réels – Billy Cook est un tueur en série qui se fera passer pour un auto-stoppeur- The Hitch-Hiker est un long voyage en voiture à travers le désert, entre la Californie et le Mexique, durant lequel deux pêcheurs sont pris en otage par un psychopathe. Un film à la tension palpable. Merveilleusement réalisé, sublimement mis en lumière par Nicholas Musuraca. Si certains noir-blanc proposent une palette de nuance de gris, là il n’en est pas question. C’est noir et c’est blanc. Radical. Sublime.

The Hitch-Hiker


Madonna, troisième long-métrage de la coréenne Shin Su-Won, s’inspire de La Madone d’Edvard Munch, l’œuvre la plus connu de l’expressionniste norvégien après Le Cri.

« Un jour d’hiver, j’étais dans un café quand une femme SDF d’une vingtaine d’années entra, s’assit sur une chaise, mit sa tête sur la table et s’endormit. Elle avait une allure saine et normale et j’ai commencé à m’interroger : comment était-elle devenue SDF et pourquoi sa vie avait pris cette tournure ? Je ressentais de l’empathie mais aussi de la peur, en pensant que ma vie pouvait tourner au plus mal à n’importe quel moment. Son image est restée gravée et en pensant à ces femmes qui vivent une vie instable, sans sécurité de l’emploi, j’ai commencé à écrire Madonna. » Ce sont les mots que la réalisatrice confiera lors de son passage à Cannes en 2015.

Hye-rim, 35 ans, trouve un travail à l'hôpital comme aide-soignante d'un riche patient quadriplégique qui possède pratiquement l'hôpital. Pendant dix ans, Sang-woo, le fils de ce patient VIP, a désespérément tenté de maintenir son père en vie pour l'argent et a ordonné aux docteurs plusieurs greffes de cœurs malgré des insuffisances cardiaques à répétition. A la recherche d'un nouveau cœur, Sang-woo choisit une patiente anonyme aux urgences en état de mort cérébrale pour qu'elle soit donneuse. Il demande à Hye-rim d'enquêter. Celle-ci découvre que la femme connue sous le nom de Madonna, est une ancienne prostituée qui a connu une vie de maltraitances et qui est enceinte. En tentant de sauver le bébé, Hye-rim désobéit aux ordres de Sang-woo et se met à la recherche du père de l'enfant. Elle va faire de terribles découvertes. « Rester en vie est quelques fois plus dur que de mourir »… cette phrase de nous quittera pas tout le long du film.

Madonna, c’est le surnom que l’on donne à cette jeune fille boulotte et timide, souffre-douleur qui tombe enceinte par accident. La cinéaste slalome entre ces deux destins, celui de l’infirmière et de la patiente. Même si durant la première heure on a un peu le sentiment « qu’on a tout mis dedans », tout le cinéma coréen, en bouchées doubles, les images subliminales, le petit côté fantastique et la fin, plus émouvante que prévue, donnent au film un relief auquel on ne s’attendait pas.
 
Madonna
 

En parlant de relief, YO, ce jeune homme de stature imposante, rondelet, un peu simplet n’en manque pas. Il a 30 ans, mais est persuadé d’en avoir 15. Il vit avec sa mère, dans un restaurant mexicain isolé. L’arrivée d’un nouvel homme dans la vie de sa mère est très mal vécue. Il va s’éloigner petit à petit pour vivre ses premières expériences sentimentales et sexuelles.

La réalisation est rigoureuse, les plans serrés, enfermant encore plus le personnage dans le tourbillon des sentiments contradictoires qui l’habitent. Dur et cruel par moment, mais pas dépourvu d’humour, YO est brillant et singulier et met en lumière le destin d’un jeune homme qui n’a pas tous les outils pour faire face au monde, impitoyable lorsque l’on est différent, auquel il doit faire face. Une expérience aussi pour nous, spectateurs, que ce film de Matias Meyer.
 
YO
 
Et si on finissait la journée au bord de la mer ? Mais pas version coquillages et crustacés… Semana Santa, de la réalisatrice mexicaine Alejandra Marquez Abella, nous propose une introspection dans le monde du veuvage. Dit comme ça, ce n’est pas très engageant.

Dali et son fils Pepino, accompagnés par Chavez, le nouveau petit ami de la mère, partent pour des vacances balnéaires. Ce qui, dans un premier temps était censé les rapprocher, va finir par les éloigner. Dali n’arrive pas à faire le deuil de son époux, Pepino se sent rejeté par sa maman et Chavez n’arrive pas à résister à quelques belles naïades qui dodelinent des hanches dans des shorts un peu trop moulants. Tous les personnages sont en quête d’amour et de reconnaissance, chacun à sa manière, et chacun avec les moyens qui leur sont propres. Et si la meilleure façon de vivre commençait par le détachement ? Il suffira d’une nuit pour que tous, quelques gueules de bois et un incendie plus tard, se retrouvent transformés et prêts à faire face à leur nouvelle destinée. En commun ou pas ? Il faut aller voir le film pour avoir la réponse.

C’est le premier long-métrage de fiction de cette réalisatrice mexicaine. Quelques maladresses, quelques lieux communs, une réalisation assez convenue, rassurante, mais prometteuse. Une fausse fin qui m’a surprise. J’aurais préféré être laissée en suspension, avec des questionnements et une palette de possibles. Malheureusement, la fin a un goût de prémâché et perd de ce fait un peu de sa saveur.


 

Prochaines projections :


The Hitch-Hiker : 17.03 19h05

Madonna : 15.03 21h / 16.03 18h / 17.03 12h45

YO : 15.03 12h45 / 18.03 15h30

Semana Santa : 14.03 12h45 / 17.03 15h30

 

ST/ 13.03.2016

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