dimanche 30 septembre 2012

L'INVITE : Fabrice du Welz


Vous avez eu des frissons d'effroi en voyant Jackie Berroyer et Laurent Lucas dans "Calvaire"? Vous avez été envoûtés par "Vinyan" et son sublime dernier plan mettant en scène Emmanuelle Béart? Le nom de Fabrice du Welz ne vous est dès lors pas inconnu. Ce quarantenaire a, avec ses deux premiers longs métrages, conquis un public certes de cinéphiles, mais surtout mis en avant une singularité exceptionnelle. Son univers constitué de références aux films paranoïaques des années 70 est avant tout un univers d'expérimentations, de bizarreries. Son prochain long métrage, attendu pour le courant 2013, réunira Gérard Lanvin, Joey Starr et Simon Abkarian. "Colt 45", produit par La petite Reine, producteur entre autres de "The Artist" (rien que ça...), promet d'être un thriller noir, un film d'atmosphère selon du Welz. Joint par téléphone, le cinéaste belge nous a accordé un entretien sur le peu de temps libre que lui laisse la post-production de "Colt 45". Découvrez un homme qui a envie de faire des films et rien que des films.
 



Vous avez fait le Conservatoire d'art dramatique de Liège, puis l'INSAS de Bruxelle, avant de faire un passage sur Canal + (La grande Famille et Nulle part ailleurs). Quand est-ce que le besoin de vous retrouver derrière une caméra s'est fait sentir?
 
Toujours. Ado déjà je tournais des petits films en Super 8 avec mes amis dans les bois. Oui, j'ai toujours voulu faire des films.
J'ai fait des études de comédiens, mais je ne suis pas comédien, loin de là. Quand j'étais enfant, je ne voyais que les comédiens dans les films, je ne m'imaginais pas tout ce qu'il y avait derrière la caméra. Lorsque j'ai découvert cet univers, j'ai voulu faire ça!
Je regardais beaucoup de films d'horreur, ils m'attiraient. Ils étaient beaucoup plus transgressifs, sexuels, viscéraux que ceux d'aujourd'hui. Bien sûr j'ai bouffé du "Vendredi 13" avant de voir des films de Cronenberg. Mais voilà, les films d'horreur j'en ai beaucoup visionné et je les aime.
 

"Calvaire" et "Vinyan" sont des films bourrés de références. Comment fait-on pour réussir tout de même à en faire des films personnels? C'est quoi le secret?
 
Je ne sais pas. On m'a déjà posé cette question et je n'ai pas vraiment de réponse.
Ce que je sais, c'est que certaines références sont conscientes, d'autres moins. Elles font partie de moi. C'est comme "Soudain l’été dernier" de Joseph L. Mankiewicz, je ne m'étais même pas rendu compte qu'il m'avait servi de référence, on me l'a fait remarqué plus tard. Je ne suis donc pas toujours conscients des références. En même temps,  j'ai en besoin, elles me permettent de trouver ma propre voie.
Mon prochain projet (ndlr: "Alleluia"), qui s'inspire d'un fait divers (les Tueurs de la Lune de Miel), sera forcément influencé par les deux adaptations qui existent déjà: celle de Leonard Kastle et celle d'Arturo Ribstein.
Mais bon, je ne sais plus qui disait cela, Scorsese je crois, il faudrait cinq films pour faire un bon cinéaste: j'en suis à mon troisième...


Jackie Berroyer et Laurent Lucas  in "Calvaire", 2004


Deux films d'horreur à votre actif, un polar noir en préparation, est-ce qu'à l'image de Ben Wheatley vous mettez dans vos films tout ce qui vous fait peur, tout ce qui vous angoisse?

Non, je ne crois pas, ou alors si je le fais, c'est de manière inconsciente. Mes obsessions, lorsque j'en ai, sont inhérentes à certains événements, je ne les cultive pas. Même si certains pensent, en voyant "Calvaire" et "Vinyan" que je suis un dingue névrosé, ce n'est pas le cas. Non, pas d'angoisses particulières. Et si j'en ai, elles me servent de matière pour avancer, comme tout le monde en fait.
Les thématiques du deuil impossible ou de l'amour aveugle touchent tout le monde.
J'aime le cinéma populaire. Vous savez, moi je veux faire des films envers et contre tout. Ce qui m'intéresse, c'est de faire du cinéma et que les spectateurs apprécient mes films. Mes deux premiers films n'ont pas vraiment été compris. J'essaie aujourd'hui de trouver un pont entre la narration et le public. Que ma radicalité, mes excès trouvent un chemin vers le public. C'est ce à quoi je m'attèle aujourd'hui en faisant des scénarios plus construits, plus écrits. Je pense mes films de manière organique, pas intellectuelle.
Pour revenir à Ben Wheatley, avec "Kill List", il a réussi à trouver un chemin vers le public avec une rare singularité. Nicolas Winding Refn et son "Drive" aussi.
"Vinyan" a déstabilisé beaucoup de personnes: les gens veulent se détendre, se divertir et pas forcément prendre des coups sur la tête.
Mon prochain film, "Colt 45" est un film noir, un film d'atmosphère, très différent du polar français traditionnel. Je suis bien entourée par l'équipe de La petite Reine et ensemble, on cherche un chemin vers le public, sans perdre ce qui fait ma particularité. J'ai envie de faire des films, rien que des films, et tous les genres m'intéressent, donc je tente d'élargir le spectre.



Votre fils a joué dans "Vinyan". Est-ce qu'il a vu le film terminé? De manière générale est-ce que vous montrez des films à vos enfants?

Alors non, mon fils n'a pas vu le film terminé. Pas certain que cela l'intéresse vraiment (rires). Il en parle de temps en temps, mais il ne l'a jamais vu. Il est plus intéressé par "Mission :impossible" et par la XBox, comme beaucoup de pré-ado. Ma fille est plus sensible au cinéma.
J'ai vraiment le souhait qu'ils s'intéressent au cinéma. Aux films de tous horizons. Je les emmène dans le milieu du cinéma, dans les salles. En général, les films en noir-blanc ne les bottent pas tellement. Mais "La Belle et la Bête" de Cocteau par exemple, ils ont un peu de peine au départ, puis ils sont pris par l'histoire. J'ai vraiment envie qu'ils s'intéressent à la culture cinématographique.


Vous-même, vous avez des souvenirs d'enfance liés au cinéma? Des films qui vous ont marqué?

Vous savez, j'ai grandi dans des collèges de jésuites en Belgique francophone. J'ai très tôt été en internat. On n'avait de temps en temps des séances cinéma qui étaient organisées, mais c'est vraiment le week-end, lorsque je rentrais à la maison, que j'ai découvert des films, notamment par la télévision.
Puis à l'adolescence, je visionnais plein de films d'horreur sur VHS. Il n'y avait pas le téléchargement à l'époque et découvrir un film sur VHS était à chaque fois un moment jouissif. Je visionnais des films d'horreur italiens, espagnols... des Mario Bava aux Cronenberg. Je suis d'ailleurs toujours très attaché aux VHS, aux DVDs ou aux Blu-Ray.


Scène de tournage "Colt 45"


Vous êtes actuellement en post-production de "Colt 45". Le titre est maintenu? Ça se passe bien?

Oui, pour le moment le titre est maintenu. Même si certains trouvent le titre un peu sec, pour le moment c'est le nom du film. Sinon, cela se passe bien. Un peu compliqué parfois, mais ça se passe bien. On prend un peu de retard. On devrait terminer début 2013.

Et "Alleluia"? Toujours d'actualité?

Oui. Le film est financé. Il a été revu, corrigé. Certaines choses pourraient changer. Mes envies ont évolué et ne sont plus vraiment les mêmes. Le casting pourrait changer, ou pas. Pour le moment, il est aussi dépendant de la fin de "Colt 45".


Merci Fabrice du Welz!


Propos recueillis par téléphone le 29 septembre 2012 / Cinécution

=> Si vous voulez en savoir plus sur "Vinyan", c'est ici.





 
 
 
 

dimanche 23 septembre 2012

VINYAN - Fabrice du Welz - 2008

Lorsque je suis grippée, j'ai pour habitude d'enfiler les vêtements les plus confortables de ma garde-robe, de préparer une grosse théière de thé au thym (bien dégueu, mais terriblement efficace), de sortir la couverture que ma mère m'a crochetée pour mes 30 ans, de me poser sur mon canapé et de visionner plein de films. C'est à ce jour le meilleur remède que je connaisse. Si on y ajoute un peu de paracétamol, l'état grippal se fait la malle en 48 heures.
 
Hier était un jour d'état grippal. J'ai donc sorti plusieurs DVD's dont "Vinyan" de Fabrice du Welz. En me penchant un peu plus sur les critiques parues lors de la sortie du film, je me rends compte que  je suis à contre-courant de pas mal d'entre elles. "C'est ton esprit de contradiction qui se manifeste une fois de plus!" diront certains de mes amis... Non, "Vinyan" est un vrai film de cinéphile: bourré de références, des belles images, des plans à tomber à la renverse. Pas besoin non plus d'être un énorme amateur de film de genre ou un cinéphile érudit pour apprécier "Vinyan".
 
 
Le titre d'abord. "Vinyan" signifie "âme errante qui hante les vivants". Et cette âme errante, c'est celle de Joshua, le fils disparu de Jeanne (Emmanuel Béart) et Paul (Rufus Sewell). Le petit a disparu lors du Tsunami de 2004. Jeanne et Paul sont restés sur place. Le film débute 6 mois après les faits. Le corps du petit n'a jamais été retrouvé, ce qui complique le processus de deuil des parents et plus spécialement celui de Jeanne qui conserve l'espoir que son fils est vivant, quelque part.
 
Lors d'une soirée, elle croit reconnaître la silhouette de son fils sur une vidéo. Cela la réconforte dans son intime conviction: Joshua est vivant. C'est une fuite en avant qui s'amorce: retrouver son fils coûte que coûte. Paul mettra tout son amour au service de sa femme pour tenter, tant bien que mal, de soulager sa douleur, allant jusqu'à payer les services d'un homme qui leur promet de retrouver leur enfant. Ils plongent alors dans la moiteur de la jungle birmane à la recherche de Joshua. Jeanne est régulièrement sujette à des hallucinations, ce qui la perturbe considérablement, et exacerbe le sentiment de vide qu'a laissé la disparition du garçon.
 
 

 
Le couple va être confronté, non seulement à des profiteurs, mais également aux croyances du peuple thaï et birman en matière de mort et du sort qui est réservé aux âmes. Où vont-elles? Quittent-elles réellement le monde des vivants? Tout ceci sans parler de la question essentielle du film : un couple confronté au décès d'un enfant, est-il encore capable de trouver un chemin l'un vers l'autre?
 
 
 
Du Welz livre un film émouvant et angoissant. Il est émouvant déjà de par la thématique: le décès d'un enfant, probablement la chose la plus incompréhensible au monde vu que cela n'est pas dans "la logique des choses", dans le cycle naturel. Angoissant ensuite par le climat que du Welz, grâce à l'excellent chef photo Benoît Debie (à qui l'on doit l'effroyable ambiance d'"Irréversible" de Gaspard Noé), crée et installe tout le long de son film. Plus le couple s'enfonce dans la jungle birmane, moins il y a de lumière et plus les plans sont oppressants.
 
Comme le dit du Welz : ".. ce n'est pas un film de fantômes traditionnel où les morts pénètrent le monde des vivants. Ici, ce sont les vivants qui pénètrent le monde des morts. L'idée était d'immerger un couple occidental qui refuse aveuglément la mort de leur enfant dans une partie du monde où la mort est une continuité de la vie. A mes yeux, un monde qui refuse avec tant d'obstination la mort et la vieillesse est un monde qui se dérègle. Le couple Bellmer incarne ce dérèglement".
 
Belle réussite que ce film qui, dès le générique au lettrage proche d'un film de Kubrick, est un film qui parle de l'amour de du Welz pour le cinéma de genre. On ne peut faire abstraction des références à "Ne vous retournez pas" de Nicolas Roeg, notamment dans le fait que la jungle birmane (a priori lieu qui fait rêver, avec ses temples, sa nature luxuriante, etc...) et utilisée comme Venise. C'est-à-dire: lieu paradisiaque par excellence, mais qui se retrouve à agir comme une prison sur les personnages, érigeant des murs imaginaires infranchissables pour la pensée et retranchant les personnages dans les méandres les plus sombres de leur esprit, ou avec le thème abordé: le deuil impossible de la perte d'un enfant qui conduit à la folie. Ou encore la scène où Paul fait l'amour à Jeanne dans la jungle: impossibilité du couple à retrouver un chemin l'un vers l'autre.
 
 
 
Deuxième référence: "Les révoltés de l’an 2000" de Serrador ou "Qui peut tuer un enfant?", traduction littérale du titre original. Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit du dénouement du film de du Welz, on ne peut s'empêcher de penser à ce film paranoïaque des années 70. Sachez juste que le dernier plan du film, même s'il aurait pu être le plus dérangeant et le plus choquant, est le plus beau de tout le film,
 
Il y en a encore d'autres, notamment "Apocalypse Now", mais je vous laisserai les trouver vous-même. Je ne vais quand même pas vous mâcher tout le travail? Et puis quoi encore!
 
Partez à la découverte de "Vinyan"! C'est un voyage sans retour, qui vous maltraite, mais qui vaut la peine d'être entrepris.
 
 
 
 
Votre Cinécution
 
NB: Sachez que Fabrice du Welz sera prochainement l'invité de Cinécution.
 

lundi 17 septembre 2012

LA DISPARITION DE GIULIA - Christoph Schaub - 2009

C'est l'hiver, en fin de journée il fait nuit, les bus sont bondés. Giulia (Corinna Harfouch) est assise dans un de ces bus pour se rendre à la fête d'anniversaire que lui ont organisé cinq amis : un couple gay qui se chipote en permanence, un couple hétéro qui lutte contre les crampes aux mollets quand ils veulent faire un petit câlin juste avant de partir et un célibataire qui refuse de vieillir et qui porte des baskets dorées pour tenter de retenir le temps qui file (ou pour mieux courir après sa jeunesse). Dans le bus, Giulia, se sent invisible. Entre deux ados d'à peine 18 ans qui débattent sur le cadeau qu'elles vont chaparder pour l'offrir à leur coup de coeur commun, une vieille dame qui se rend à un anniversaire dans une résidence pour personnes âgées, et une bombe anatomique qui attire tous les regards, Giulia voit son reflet disparaître dans la vitre du bus. Prise de panique, elle descend du bus précipitamment. Elle entre chez un opticien et croise John (Bruno Ganz), un allemand à la recherche d'un cadeau à offrir. Ces deux-là vont passer la soirée ensemble, Giulia préférant la compagnie de cet inconnu qui la rend visible à celle de ses amis qui l'attendent au restaurant.

Dans une résidence pour personnes âgées de la même ville, Léonie (Christine Schorn) fête ses 80 ans. Sa fille lui a organisé une soirée qui a tout du goûter d'anniversaire. C'est une belle démonstration de la façon dont notre société infantilise les personnes du troisième âge. Léonie, qui a toujours été une femme de caractère, profondément libre, en conflit perpétuel avec sa fille à qui elle reproche de ne venir la voir que les jours de fêtes et d'être vieille avant l'heure, prendra un malin plaisir à jouer la vieille dame indigne et à saboter la fête. Dehors la "Chorale des oiseaux", dégage le gâteau!



Au même moment, dans un magasin, Jessica (Elisa Schlott) et Fatima, deux ados qui en pincent pour le même garçon, sont à la recherche d'un cadeau d'anniversaire à lui offrir. Elles constatent rapidement que tout est hors de prix. La solution: voler une paire de chaussures pour leur chouchou commun. Mais voilà, elles se font attraper par un vigile. Entrent alors en scène les parents de Jessica: divorcés, en conflit, chacun pense qu'il possède la solution pour résoudre les problèmes de Jessica, jusqu'à ce que l'adolescente leur fait remarquer qu'elle est là est qu'elle a besoin d'eux deux.

 



Christoph Schaub et Martin Sutter nous offrent un "film réflexion" sur l'âge, le vieillissement, la mort. Chaque étape de vie possède son propre mal-être. Le scénario de Martin Suter est impeccable, les dialogues sont irrésistibles. On rigole du cynisme distillé çà et là, des situations où même le choix du repas devient source de débat sur l'âge: pas de beurre, mais de l'huile d'olives. Pas de viande, que des légumes. Pas d'oeufs, ce n'est pas bon pour le cholestérol. Les dialogues sont en apparence superficiels, mais ils nous projettent en pleine face ce dont nous avons le plus peur: vieillir, respectivement, mourir.



La caméra de Christoph Schaub fonctionne divinement dans les scènes intimistes entre John et Giulia, mais on regrette qu'elle soit trop sage, notamment dans la scène de la bagarre de tarte qui met fin aux réjouissances du côté de chez Léonie. Pas facile de mettre en scène un "film assis", où l'essentiel de l'action, que ce soit au restaurant ou dans la résidence pour personnes âgées se passent autour d'une table. Pour ma part, mais ce ne sont là que mes goûts, j'aurais apprécié une plus grande variété de plans. Mais peut-être est-ce là une volonté de Schaub que de nous montrer que ces grands débats sur l'âge sont plombants et que de toute manière vieillir est une fatalité contre laquelle, même en déployant des moyens extraordinaires (chirurgie esthétique, pilules miracle, régimes alimentaires fantaisistes), nous ne pouvons rien faire.

Un de mes profs de philosophie disait: "Si l'on a peur de la mort, il est ridicule d'avoir peur de vieillir. Plus on vieilli, plus on repousse l'échéance de la mort.". A méditer donc.

 

Votre Cinécution

samedi 15 septembre 2012

LES PETITES FUGUES - Yves Yersin - 1979

"Les petites Fugues" : c'est la liberté à laquelle nous aspirons tous. La découverte de nouveaux espaces qui jusque-là nous étaient inconnus. C'est sentir le vent dans nos cheveux, la pluie sur notre visage, le soleil sur notre peau. C'est se sentir léger et avoir le sentiment de voler. C'est réaliser nos rêves. Et c'est monter jusqu'au sommet de La Berra avec son vélomoteur et écouter siffler les planeurs entre les sommets. C'est visiter une fabrique de chocolats. C'est assister à une course de motocross et tendre une belle pomme verte au vainqueur. Et c'est manger des glaces et gagner un appareil photo. C'est surtout l'histoire de Pipe.
 
Plus de trente ans que Pipe (Michel Robin) est garçon de ferme chez les Duperrey. Il travaille dur. Il est considéré comme un membre à part entière de la famille. Avec ses premières rentes AVS, il décide de s'acheter un vélomoteur. Luigi, le saisonnier qui travaille sur l'exploitation, l'initie à la conduite de ce drôle de vélo. Après des débuts laborieux, Pipe prend du plaisir à ses petites escapades. Tout d'abord le dimanche, puis ensuite sur semaine, négligeant son travail et provoquant la colère de son patron. Un jour qu'il part en balade, il se prend une jolie cuite et provoque un accident à son retour. C'est la police qui le ramène à la ferme. La mobylette est confisquée. Dans un accès de colère, Pipe va jusqu'à brûler son vélomoteur. Il lui reste son appareil photo qu'il a gagné à une foire populaire. Il mitraille et accroche les photos contre les murs de sa chambre, avec fierté: c'est son reportage sur la ferme. Ultime cadeau que Pipe s'offre: un vol en hélicoptère au-dessus du Cervin. Mais déçu que le somment de ce dernier est plat, il abrège le vol et rentre à la ferme, car "il a du boulot en-dessous", du moins c'est ce qu'il dit au pilote. Et c'est là que le père Duperrey annonce qu'il remet la ferme à son fils. Mais que va devenir Pipe? Il monte une dernière fois au sommet du tas de fumier...
 
 


 
 
Michel Robin, qui interprète Pipe, n'a que 49 ans au moment du rôle. C'est un tour de force et une véritable performance d'acteur. Il est remarquable et extrêmement touchant. Pipe, c'est un peu le garçon de ferme que tous ceux qui ont grandi en campagne ont croisé. Dans mon village, il s'appelait Hermann. C'était un vieux garçon qui se déplaçait en vélomoteur (!), qui levait un peu trop le coude et qui faisait peur à certains enfants. Il était un peu simple, un peu gauche, comme Pipe.

 
 
 
"Les petites Fugues", c'est un concentré de poésie, une ode à la liberté. A voir et revoir ne serait-ce que les quelques scènes d'anthologie qu'il contient: la scène de l'apprentissage de la conduite avec Luigi, la partie de carte payée en chocolat entre Pipe, Josiane et Luigi ou encore la séance d'auto-portraits que Pipe effectue dans sa chambre, entre autres...

 
 
Pour le surplus, je ne résiste pas à vous faire (re)découvrir le magnifique texte qu'avait écrit Freddy Buache, membre fondateur de la cinémathèque suisse et directeur de celle-ci de 1951 à 1996, à la sortie des "petites Fugues". Un délice!

 

Freddy Buache : La quête de Monsieur Pipe

 
"Depuis quarante ans, le vieux Pipe travaille dans la même ferme de Gros-de-Vaud. C'est dire qu'il occupe, sociale-ment, une place particulière, typique de la civilisation paysanne de nos régions, surtout jusqu'au moment de la mécanisation systématique de l'agriculture: dévoué, rude à la tâche, ce domestique de campagne, par son fidèle attachement au clan, fait partie de la famille dans tous les domaines de l'existence quotidienne ou sentimentale; on l'invite aux fêtes, il partage les soucis ou les plaisirs de ses employeurs et, pourtant, sur le plan précis des affaires d'argent (ou de gestion de l'entreprise), il reste un serviteur qui n'a pas le droit à la parole. En somme, Pipe est un esclave que le paternalisme des maîtres semble rendre heureux (il possède le gîte, le couvert, même un peu d'affection, et de quoi se payer un verre de vin le dimanche); mais ce bonheur apparent, proche à certains égards de celui que vivent les gens d'aujourd'hui dans leur rapport à l'Etat, masque mal un manque essentiel: celui de l'authentique liberté. Pipe va en faire l'apprentissage grâce à l'acquisition d'un vélomoteur, véhicule qui va lui permettre de s'approprier un espace qu'il fut contraint d'ignorer: celui des champs et des forêts au-delà de son habituelle aire de labeur, celui du lointain, celui du ciel. Le magnifique film d'Yves Yersin, par sa beauté fraternelle et sa vérité, montre avec lyrisme la découverte de cette liberté, les rêves qu'elle nourrit, les extases qu'elle procure, et ce qui sournoisement la menace. D'ailleurs, ce qui la menace en constitue le prix incalculable et, parce qu'il exprime l'inexprimable mystère de ce fondement de la condition humaine en partant d'un intelligent scénario qui maintient vivante la dialectique au coeur du poème, Yersin peut cerner continuellement la justesse naturaliste pour la dépasser dans le sens du chant. Jusqu'à un certain point de son récit, Yersin (je pèse mes mots !) signe un chef-d'oeuvre; jamais (Roméo et Juliette au village compris avec, bien entendu, l'ensemble du nouveau cinéma suisse) une création du septième art conçue et réalisée dans notre pays n'atteignit ce niveau de bouleversante évidence: nos réalités extérieures et intérieures saisies à vif dans leur particularisme, puis remodelées pour éclater en plein universalisme concret. L'élaboration très subtile du rôle effectuée par Michel Robin sous la direction du réalisateur n'y est évidemment pas pour rien: il incarne Pipe le Vaudois avec une exactitude confondante et le pousse au mythe.



Puis l'auteur s'intéresse de plus près aux actions des autres protagonistes, aux amours de Josiane avec Luigi, aux difficultés du fils avec sa fiancée et avec l'avenir de l'entreprise paysanne, aux soucis du père, aux douleurs inavouées et solitaires de la mère ; il développe des anecdotes annexes, s'attarde sur des situations secondaires, souligne des éléments qui touchaient mieux et en disaient plus, paradoxalement, lorsqu'ils étaient simplement esquissés autour de Pipe, car la réussite exceptionnelle du premier mouvement de ce spectacle tient à la façon de présenter et d'analyser l'ensemble par une seule de ses parties, de préciser sans cesse le thème général en dressant avec amour le portrait d'un individu.
A la fin, Pipe s'envole en hélicoptère et tourne autour du Cervin pour comparer ce pic célèbre avec l'image suspendue à la paroi de sa chambre que, depuis toujours, il admire en rêvant de s'en approcher. Amer constat: la pointe dorée au soleil couchant, symbole de grandeur et de pureté dans les cantiques et les prières patriotiques n'est qu'un amas de cailloux. Le tracteur a remplacé les chevaux. Le profit exige la culture intensive, l'élevage industriel, des calculs de rendement. Une civilisation qui ne manquait pas de souffrances ni d'injustices, mais qui possédait un rythme en accord avec les saisons, a disparu. Celle des technocrates et des fonctionnaires la remplace. Où, dans cette mutation, l'homme trouvera-t-il sa place ? Quel futur pour l'amical Pipe? Pour nous? " F.B.


Votre Cinécution

ALL THAT REMAINS - Valentin Rotelli et Pierre-Adrian Irlé- 2011




Ellen (Isabelle Caillat) sort d'un hôpital de Tokyo. Son premier geste est d'appeler son frère pour lui dire que tout va bien. Son frère jumeau, Ben, vit en Californie. Ellen est malade et on la soupçonne assez rapidement de ne pas révéler la gravité de son état de santé, pour préserver ses proches qui sont à des milliers de kilomètres d'elle, de l'autre côté du Pacifique.
 
Au Japon, Ellen croise Nakata. Nakata (Toshi Toda) en marre de son travail et aspire à réaliser ses rêves de jeunesse: devenir photographe et voir les rochers d'Umikongo. Il prend Ellen en stop et ensemble ils font le voyage vers les fameux rochers. Ellen voit son état s'aggraver tandis que Nakata découvre petit à petit la liberté. Chacun à sa façon exprime ses rêves.





 
Sur la côte ouest des Etats-Unis, Ben (Travis Shakespeare) longe le pacifique pour rejoindre les falaises mystiques de Big Sur. Il doit s'acquitter d'une mystérieuse mission: faire une offrande à une sirène. Sur sa route, il prend en stop Sara (Olga Rosin). Sara est bavarde et cela contrarie le jeune homme. Ben et Sara traversent la Californie et ne cessent de s'enguirlander. Ils finissent par rejoindre les falaises de Big Sur où Ben s'acquitte de sa promesse et espère réaliser un voeu.
 
Quatre personnages au carrefour de leur existence.
 
 
Ces deux road movies parallèles nous perdent un peu en chemin. Plusieurs hypothèses naissent sans qu'aucune ne s'avère juste. On peine à comprendre ce qui lie les quatre personnages, faute d'indices. On suit ces deux couples pour le moins improbables, mais on ne sait pas vraiment ce à quoi ils aspirent ni ce vers quoi ils roulent. On sait juste qu'ils vont se retrouver des deux côtés de l'océan Pacifique. Ce film surprend par une fin décalée à laquelle personnellement je ne m'attendais pas. C'est à ce moment précis que l'émotion m'a saisie et j'avoue avoir beaucoup pleuré.
Je regrette cependant de ne pas avoir eu d'émotions plus tôt dans l'histoire. A une exception près: la légende de la sirène de Big Sur. Légende qui voudrait que la sirène nous appelle et qu'elle nous propose deux choix: le premier, passer une nuit de sexe inoubliable avec elle et le second, ne pas l'embrasser et la laisser repartir vers son père Poséïdon, lequel nous rendrait l'âme d'une personne disparue. Jolie légende qu'Ellen et Ben racontent en parallèle à leurs compagnons de route.

 
 
Je ne suis pas très fan de la photographie et la réalisation non seulement ne surprend pas, mais anesthésie quelque peu. Dommage, car c'est un film ambitieux.
Malgré tout, j'ai aimé ce film. Il a eu sur moi un effet puissant qui m'a laissée assise dans mon fauteuil de longues minutes après la fin du générique, toute recroquevillée sur moi-même. Il y a des films comme ça, qui font résonnance. C'est une belle et touchante histoire, et j'aime les belles histoires, même si elles sont tristes.
 
 

 

Notes d'intention des deux réalisateurs

 
"All that remains"dépeint l’histoire de quatre personnages au carrefour de leur existence. La route et les paysages qui évoluent – du chaos urbain de Los Angeles et Tokyo à la nature sauvage de la côte de l’océan Pacifique – font écho à la vie intérieure des personnages, que leur voyage initiatique éclaire progressivement.
Nous avons développé un processus de création très personnel pour "All that remains", à la recherche d’une forme narrative unique. Avec la volonté d’aller au-delà des méthodes traditionnelles de mise en scène, nous avons continué le travail que nous avions amorcé sur nos courts-métrages précédents, et dont l’objectif était de capturer les nuances les plus infimes des personnages en filmant leur performance dans des conditions physiques et émotionnelles aussi proches que possible de la vie réelle. Notre intention était ici d’effacer toute trace de « conscience du jeu» dans les dialogues et les comportements des personnages. Nous avons cherché à obtenir des comédiens un jeu aussi naturel que possible en leur faisant vivre littéralement les scènes.
Pour atteindre cet objectif, nous avons tourné les scènes chronologiquement et révélé l’histoire aux comédiens jour après jour. Cela a permis aux acteurs de découvrir le scénario comme on découvre des événements qui surgissent au quotidien, parfois inattendus. Comme les spectateurs, les acteurs eux-mêmes ne savaient pas où le film les amenait, et ils ont par conséquent mêlé leurs émotions avec celles des personnages qu’ils incarnaient. Cette quête de la spontanéité des comédiens a été rendue possible grâce à un travail d’appropriation des personnages très en amont. Cette recherche de fond sur les personnages nous a permis d’incorporer des éléments de biographie qui les rapprochaient au maximum de la vie émotionnelle des acteurs. Cette méthode de travail a aussi donné l’opportunité aux comédiens d’improviser et ainsi de contribuer activement à l’histoire, le résultat de cette collaboration constituant la narration finale.

Film contemplatif, spontané, porté par une structure inattendue et des personnages forts, "All that remains" reflète pleinement notre ambition d’explorer des êtres dans l’intimité de leurs émotions à certains des moments les plus fragiles que la vie leur réserve.
 
 
 
Votre Cinécution

L'ENFANCE VOLEE - Markus Imboden - 2011

Levée de corps chez les Bösiger. C'est ainsi que débute le film poignant de Markus Imboden, inspiré de 100'000 histoires vraies. Max  est amené par le pasteur du village chez la famille Bösiger pour "remplacer" le gamin découvert mort. Les mots du pasteur sont les suivants: "Faites en sorte qu'il dure plus longtemps que le dernier."
C'est aussi le jour où, dans le même car postal jaune vif débarquent la nouvelle enseignante du village, Mlle Sigrist et le fils Bösiger, fraîchement libéré de l'armée, Jacob.
 
Dans des paysages à couper le souffle (oui, l'Oberland bernois et ses vertes prairies sont magnifiquement filmés), c'est l'horreur la plus absolue que vont vivre Max et Berteli, jeune fille envoyée également chez les Bösiger pour donner un coup de main à la ferme. La famille Bösiger profite de l'argent de la pension que leur remet le pasteur pour s'occuper d'enfants orphelins ou dont les parents ne peuvent plus prendre soin.
 
 
 
 
Le père Bösiger (Stefan Kurt) est un alcoolique sujet à des crises de violence, qui dépense tout le revenu de la ferme dans la boisson. La mère Bösiger (Katja Riemann) est une femme aigrie et froide comme de la pierre qui décrit son mari comme étant est un cochon. Le fils Bösiger, Jacob, interprété par Maximilian Simonischek, est un petit con! Oui, il n'y a pas d'autres manière de le dire, c'est un petit con, violent et vulgaire.
 
Max (Max Hubacher) est un ado solitaire qui se réfugie dans l'accordéon, seul souvenir qu'il lui reste de sa mère. Il se rapproche de Berteli (Lisa Brand). Les deux jeunes gens se lient d'amitié et se soutiennent mutuellement. Max est mal nourri, battu régulièrement, dort dans la porcherie et travaille comme une bête de somme. Berteli s'occupe de la grand-mère mourante, subit les humiliations de la mère Bösiger, et reçoit les visites nocturnes de Jacob qui abuse d'elle.
 
 
 
Max s'endort régulièrement à l'école et la nouvelle institutrice, Mlle Sigrist, le prend sous son aile et dénoncera la situation, en vain. Il découvrira le tango et le bandonéon en écoutant la radio chez elle. Ce sera désormais son rêve: quitter la Suisse avec Berteli et se rendre en Argentine, où ils seront paysans, auront des chevaux et lui jouera de l'accordéon pour boucler les fins de mois.
 
Mais leurs rêves ne se réaliseront pas. Berteli meurt des suites d'un avortement barbare organisé par la mère Bösiger qui souhaite "résoudre le souci de son fils"... La police débarque et ordonne une enquête sans concessions contre les Bösiger. Max prend la fuite, à la poursuite de son rêve... même seul, il ira en Argentine.
 

 
 
Dès les premières minutes du film, on a le sentiment de se trouver dans une nouvelle de Jeremias Gotthelf (auteur bernois de la première moitié du 19ème siècle qui s'attacha à dépeindre la société paysanne et l'authenticité du milieu rural en dialecte bernois). Religion, difficultés financières, récoltes pourries, tout y est. On a aussi le sentiment, et là une fois de plus c'est anachronique, le sentiment de se trouver à chaque plan dans un tableau de Albert Anker (peintre bernois de la fin du 19ème siècle qui a peint des représentations des milieux ruraux) tant les couleurs et les lumières ressemblent à celles utilisées par l'artiste bernois. Cependant, la douceur et la tendresse qui émanaient des tableaux de Anker sont totalement absentes, pour ne laisser que transparaître de l'austérité et l'aridité de ses coeurs dépourvus de sentiments.
 
 
 
Ce film est basé sur les histoires vraies de 100'000 enfants, orphelins pour la majorité d'entre eux, qui étaient vendus à des familles d'accueil, pour la plupart issues du milieu agricole, qui voyaient en eux que de la main d'oeuvre bon marché. La plupart de ces enfants ont vécu l'enfer. Tout le monde était au courant mais tout le monde fermait les yeux. L'impact de l'église, quelle soit protestante ou catholique, sur les personnes du milieu agricole de l'époque faisait que tout le monde se taisait par peur de représailles. Ces placements d'enfants eurent lieu en 1900 et 1950-60. C'est une page sombre de l'histoire suisse récente sur laquelle se penche Markus Imboden. Histoire qui a été tue pendant de nombreuses années jusqu'à ce que certains médias, par le biais de documentaires la révèle au grand jour, mettant plusieurs institutions concernées dans l'embarras. Un film à voir.
 
 
 
 
Votre Cinécution

mercredi 12 septembre 2012

DON'T BOTHER TO KNOCK - Roy Baker - 1952

 

 

Sorti en 1952, "Don't bother to knock" (en français "Troublez-moi ce soir"), offre à la sculpturale Marilyn Monroe son premier grand rôle. Cantonnée depuis 1947 à de tout petits rôles (pour certains même pas crédités), le personnage de Nell Forbes permet de révéler une Marilyn qui existe au-delà de son image de bombe sexuelle.
 
 
J'ai découvert ce film à l'adolescence lors d'une soirée où je faisais du baby-sitting (oui chers parents, vos enfants sont gardés par des jeunes filles qui une fois les bambins couchés regardent la TV...). J'ai été touchée par cette femme que je n'avais vu à l'époque que dans des films légers, divertissants, mais néanmoins remarquables et majeurs, dans lesquels elle n'était que la ravissante idiote blonde ("Les hommes préfèrent les blondes", "Comment épouser un milliardaire" ou "Certains l'aiment chaud"). C'est avec ce film que mon admiration pour Marilyn est née.
 
Nell Forbes est une jeune femme qui débarque dans un hôtel parce que son oncle, groom dans l'établissement, lui a dégoté un job de baby-sitter pour la soirée. Elle est timide et réservée, parle très doucement et avec beaucoup de retenue. Elle doit s'occuper d'une petite fille pendant que les parents de cette dernière se divertissent au bar de l'hôtel. La petite couchée, Nell fouille dans les affaires de la mère. Elle essaie ses vêtements, ses bijoux, son parfum. Elle se met à rêver qu'elle est quelqu'un d'autre. Son regard croise celui de l'homme de la chambre vis-à-vis de la sienne. Ils se parlent tout d'abord de fenêtre à fenêtre et installent un jeu de persiennes des plus charmants.
 
 
 
 
A ce stade du film, on a tous les ingrédients pour nous faire croire que nous sommes en train de visionner une gentille comédie romantique... que nenni! "Don't bother to knock" est en fait une tragédie!
 
 
 
Jed Towers, le voisin, interprété par Richard Widmark, rejoint Nell dans sa chambre. Il lui fait du charme. Nell qui est émotionnellement instable et qui sort d'un séjour de 3 ans en institution, s'éprend immédiatement de ce séduisant voisin. Jed remarque, en voulant quitter la chambre, que Nell porte à ses poignets les stigmates d'une tentative de suicide. Il comprend dès lors que cette jeune femme est non seulement un danger pour elle-même, mais qu'elle est potentiellement dangereuse pour les autres. Son attitude face à l'enfant le prouve: elle ne sait comment faire pour qu'elle cesse de pleurer. Elle finira par ligoter l'enfant sur son lit.
 
 
 
 
Ce film a tout du huis-clos, se déroulant presque exclusivement dans la chambre de Nell. Les quelques excursions dans l'hôtel ne sont là que pour illustrer l'histoire parallèle qu'est celle de Jed et Lyn, la chanteuse du bar de l'hôtel, interprété par Anne Bancroft (inoubliable Mrs Robinson du "Lauréat") dont c'est le tout premier rôle, essentiellement chanté. On aurait souhaité ne pas quitter aussi souvent la chambre, afin de conserver la tension dramatique. Le film étant déjà court, 1heure 15, cela aurait intensifié le tout. Mais cela n'enlève rien à la beauté de ce film, même si certains ont vertement critiqué le manque de mise en scène, reprochant à Roy Baker de suivre les acteurs plutôt que d'installer un réel suspense.
 
Ce film révèle la véritable tragédienne qu'était Marilyn Monroe, sommet de cette nature profonde qu'elle atteindra avec "The Misfits" en 1961, soit un an avant sa disparition.
 
 
 
Marilyn avait à l'époque 26 ans. Elle possédait ce visage enfantin qui faisait hiatus avec ce corps à la féminité ravageuse. Sa troublante interprétation de Nell laisse la porte ouverte à plein de suppositions dignes des plus grands psychologues de comptoir. La jeune Norma Jeane ayant été placée dans différentes familles d'accueil pendant son enfance et son adolescence, sa mère étant internée,  s'est-elle inspirée de cette dernière pour donner vie à Nell? Cette voix si douce et ce phrasé si particulier seraient-il dûs au fait qu'elle bégayait adolescente? Ces questions restent ouvertes et il n'est pas nécessaire d'aller gratter plus loin, il convient juste de saluer la performance d'actrice.
 
"Don't bother to knock" sort un an avant "Niagara" de Henry Hathaway qui fera d'elle et pour les dix années qui lui restent à vivre, un sex symbol interplanétaire. Une femme autant adulée que détestée, mais dont le mythe, 50 ans après son tragique décès, est resté intact.
 
Votre Cinécution

samedi 1 septembre 2012

BREEZY - Clint Eastwood - 1973

Alors que Clint Eastwood met ses fans quelque peu mal à l'aise en s'adressant, dans un monologue un peu confus, à une chaise vide, censée représenter Barack Obama, lors de la convention républicaine à Tampa, et que les réseaux sociaux s'affolent, je crois qu'il est temps de remettre les ponts au milieu du comté de Madison, la douche au milieu du vestiaire ou encore Blondin au milieu du désert! Remettons les choses à leur place... déjà que "Citizen Kane" n'est plus le meilleur film au monde (!), laissons à Eastwood les talents de comédien et réalisateur qui sont les siens!
Si certains dérapages sont inadmissibles, tel celui de Lars von Trier à Cannes en 2011, et il s'agit là d'un cas extrême, les tendances républicaines de Clint Eastwood ne sont pas nouvelles et on n'est pas en train de parler d'un parti d'extrême droite ou de propos néonazis...


Ce n'est pas la première fois qu'Eastwood est attaqué de front: Spike Lee l'avait vertement apostrophé pour "Mémoires de nos Pères", lui reprochant l'absence de soldats afro-américains dans son film, laissant sous-entendre un certain racisme de la part d'Eastwood. Mais c'est oublier que le même Eastwood a réalisé un magnifique film sur Charlie Parker, "Bird"! Ou en 2008, "Gran Torino". Même si au départ le personnage de Kowalski est profondément raciste, il évolue et devient tolérant et va même jusqu'à payer de sa vie pour que justice soit faite. Et c'est sans parler d'"Invictus" en 2009. Eastwood raciste?  Je ne le crois pas.


Ambigu, Eastwood? Peut-être. Sûrement. Sa filmographie en tant que réalisateur le prouve. Il s'est attaqué à des sujets aussi troublants que dérangeants tels que : les abus sexuels sur les enfants avec les traumatismes qui s'en suivent dans " Mystic River", la boxe féminine et l'euthanasie avec "Million Dollar Baby", l'adultère avec "Sur la Route de Madison", le double regard sur la bataille d'Iwo Jima qui opposa les américains aux japonais avec "Mémoires de nos Pères" et "Lettres d’Iwo Jima",  ou encore les amours particulières dans "Breezy", le film dont je vais vous parler.



Résumer Clint Eastwood à ce discours fait en "faveur" de Mitt Romney serait absolument ridicule.
Bon, après ce préambule qui a tout du plaidoyer, revenons à l'essence même de ce blog: le cinéma!
"Breezy" est le troisième film de Clint Eastwood. Il a été réalisé en 1973, après "Un Frisson dans la nuit" et  "L’Homme des hautes Plaines".
Alors que l'Amérique, et le monde entier, pleure encore sur les amours tragiques d'Oliver Barrett IVe du nom et Jennifer Cavalleri ("Love Story" d'Arthur Hiller, 1970), Eastwood réalise un film sur l'histoire d'un homme quinquagénaire qui s'éprend d'une jeune hippie de 17 ans. Même dans les années 70 très "open", ce film a un léger parfum de scandale. Mais au final, c'est un film qui parle d'amour, un point c'est tout.



Edith Alice Breezerman dite "Breezy" est orpheline de père et de mère. Après l'obtention de son diplôme de fin d'études, elle entreprend de prendre la route. C'est une jeune hippie, joyeuse, aux propos teintés d'angélisme, non dénuée d'humour. Une vraie pipelette, qui a son mot à dire sur tout et sur tout le monde. Elle n'a pas la langue dans sa poche. Elle prône la liberté de vivre, de penser. Lui, c'est Frank Harmon. Agent immobilier, la cinquantaine. Il vient de divorcer et se retrouve complètement aigri, refusant tout attachement, de quelque nature que ce soit.



Ces deux-là vont se croiser. Au départ, on pense que Breezy (Kay Lenz)  est une petite arriviste qui tire profit de toutes les situations, mais on se rend rapidement compte qu'elle n'est que sincérité et spontanéité. Franky (William Holden), quant à lui représente l'American Way of Life vu par la droite conservatrice: un tantinet orgueilleux, riche, macho et vaniteux. Mais en réalité, c'est un homme plein de douceur, j'en veux pour preuve le moment où il sauve un chien d'une mort certaine. Scène du premier conflit entre Breezy et Franky comme elle l'appelle affectueusement.
Ils vont entamer une liaison, qui va les mettre face aux préjugés de la société, mais qui surtout va les mettre face à leurs propres désirs et attentes.



Une histoire d'amour sans gros cataclysme, mais d'une grande sincérité. Elle touche par sa simplicité apparente. Mais en fait, ce sont deux Amériques qui se rencontrent: celle plutôt libérée, utopiste et celle avide de pouvoir, d'argent et de conquêtes.
Ce film pourrait faire penser à une énième histoire de Lolita, mais étrangement, malgré la très grande différence d'âge qui sépare les deux personnages, on ne ressent aucun malaise contrairement à celui que l'on éprouve en lisant l'oeuvre de Nabokov ou en visionnant l'adaptation très controversée qu'en a fait Stanley Kubrick en 1962 (controversée, dérangeante, mais remarquable!).



C'est une histoire touchante, un peu mièvre diront certains. Mais il reste que ce film a un peu tout du conte de fées. Les images sont magnifiques, la réalisation sublime, les clichés liés au mouvement hippie soigneusement évités (mis à part le fait que Breezy ne porte pas de soutien-gorge). Même si Eastwood a fait nettement mieux plus tard dans le registre "histoire d'amour", avec "Sur la Route de Madison", "Breezy" doit être vu au moins une fois, parce qu'il est plein de charme. Et le charme, finalement, plus que la beauté, c'est l'ingrédient qui fait que l'on tombe amoureux.
Donc, regardez "Breezy" et tombez amoureux... la musique de Michel Legrand vous y aidera aussi!
Votre Cinécution